Des manifestants copieusement arrosés de coups de matraque, de jets de flotte des camions à eau et asphyxiés par des nuages de gaz lacrymogènes - qualifiés d'inoffensifs car "naturels" par le ministre de l'intérieur Idris Naim Sahin - rien de plus banal en Turquie.C'est le traitement auquel ont systématiquement droit les Alévis - voulant commémorer les massacres de Maras ou protestant contre la clôture du procès des assassins de l'incendie de l'hôtel Madimak (Sivas, 1993) - les mouvements ouvriers - des ouvriers des chantiers navals de la mort de Tuzla, les dizaines de milliers d'employés Tekel licenciés ou même les pompiers en grève, les mouvements écologistes etc.. Et bien évidemment les Kurdes, qui ont la fâcheuse habitude de manifester alors que l'autorisation leur est quasi systématiquement refusée.
Comme le 14 juillet dernier à Diyarbakir , où la répression d' un meeting interdit a fait au moins une centaine de blessés. Certains témoins estimaient leur nombre à 200 . Difficile de savoir : ceux qui sont blessés lors de manifestation évitent dans la mesure du possible de se rendre dans les hôpitaux publics, de crainte d'y être dénoncés aux autorités. Mais on m'a parlé de manifestants s'écroulant à terre, suffocants sous les gaz le 14 juillet dernier.
Comme d'habitude, les élus du BDP avaient été la cible des jets de gaz : la députée Pelvin Buldan avait été gravement blessée à la jambe par une bonbonne qui ne l'avait pas loupée. D' autres l'avaient été plus légèrement. Le lendemain, tandis que la plupart des médias parlaient de "manifestation non autorisée" le journal Radikal titrait à la UNE "Est-ce ainsi qu'on va résoudre la question kurde ?" (ce qui n'empêchait pas le quotidien "de gauche" du groupe Dogan, de virer quelques semaines plus tard Yildirim Türker, un éditorialiste trop sensible à cette même question kurde).
Mais il est moins courant de voir ces mêmes méthodes employées contre des manifestants brandissant des drapeaux turcs et des portraits d'Atatürk. C'est pourtant ce qui est arrivé à deux pas du défilé militaire, ce jour de fête nationale. Mais cette fois, c'est le CHP et une centaine d'associations kémalistes qui avaient décidé de braver l'interdiction de manifester devant le premier parlement de la République de Turquie. (aujourd'hui transformé en musée). Leur façon de fêter la naissance de la République. Mais statue et effigies d'Atatürk ou drapeaux turcs n'y ont rien fait. Une manifestation non autorisée devient une provocation et les manifestants ont eu le droit (en un peu plus soft quand même si j'en juge les images) au traitement réservé aux manifestants de Diyarbakir ou d'Hakkari..
Kemal Kiliçdaroglu le président du CHP, le parti fondé par Atatürk avait choisi de déserter le défilé militaire pour rejoindre les rangs des manifestants. Certains témoignages affirment qu'il aurait été lui aussi la cible de jets de gaz et qu'il y aurait eu des échanges peu courtois entre certains de ses gardes du corps et des policiers...comme s'il n'était qu'un vulgaire député de l'opposition kurde.
Alper kafa, le président d'une des associations organisatrices de la manifestation, contacté par CNN, déplorait que les autorités usent d'une telle violence contre des citoyens qui défilaient pacifiquement et contre des cortèges où se trouvaient des "enfants et des personnes âgées". (On a du apprécier à Diyarbakir : les Kurdes sont régulièrement accusés de mettre "les enfants et les personnes âgées devant" )
Le chef de gouvernement Recep Tayyip Erdogan déclarait que cette manifestation n'était que la réaction des déçus de 2007, quand le vieil "etablishement" avait échoué à faire annuler l'élection du président Gül pour cause de tenue "non laique" de son épouse et à interdire l'AKP.
Peut-être, mais en attendant, certains éditorialistes comme Murat Yetkin soulignent que les tensions montent dans la Turquie d'Erdogan...Et il est peu probable que les gaz lacrymogènes, même parfaitement naturels, soient très efficaces pour les faire baisser. Ce qui ne doit pas être l'objectif d'ailleurs
Des tensions qui n'épargnent pas le sommet de l'Etat : le lendemain de la manifestation, les médias s'interrogeaient sur l'identité de celui qui aurait ordonné à la police de retirer les barrières qui interdisaient l'accès au mausolée Atatürk que les manifestants ont ensuite rejoint. Est-ce le président Gül qui affirme de plus en plus sa différence et montre parfois son agacement face aux "méthodes musclées" du gouvernement AKP ?
Et le lendemain, mardi 30 octobre, c'est à Diyarbakir, Istanbul (Okmeydan), Van, Sirnak, Hakkari etc...que des manifestations de soutien aux centaines de grévistes de la faim qui de leur prison appellent - depuis cinquante jours pour certains - à la fin des conditions d'isolement de leur leader Ocalan, dégénéraient.
Bilan : 122 gardes à vue et 7 arrestations rapportent les Yüksekova Haber.